La colonisation grecque dans le nord de la Mer Égée

La deuxième période de colonisation grecque, qui a débuté vers le milieu du VIIIe siècle av. J.-C. et s’est poursuivie pendant tout le VIIe siècle, a été une période de grands bouleversements pendant laquelle les populations grecques se sont déplacées sur tout le pourtour de la Méditerranée. C’est alors qu’ont été fondées des colonies sur les côtes de la Macédoine, de la Piérie (Méthonè) et de la Chalcidique (Mendè, Skionè, Sanè, Néapolis, Aphytis, Potidée, Toronè, Semylè, Akanthos, Stageira) jusqu’au Strymon (Argilos) et à Thasos, cette dernière fondant rapidement de nouveaux établissements dans la pérée – la côte en face de l’île – entre les fleuves Strymon et Nestos (Galepsos, Apollonia, Oisymè, Néapolis).

Cette période de colonisation dans le Nord de la mer Égée avait été précédée par une période d’exploration, de contacts et d’échanges avec les populations locales. Il semble que les Eubéens aient été les premiers à se rendre dans la région, surtout les habitants d’Érétrie et de Chalcis, qui donnèrent d’ailleurs leur nom à la presqu’île de « Chalcidique ». D’ailleurs, la majorité des colonies ont été fondées par les Eubéens, la plus ancienne étant Méthonè fondée au tout début du VIIIe siècle. Des colons de deux îles des Cyclades participèrent aussi à ce mouvement. Des habitants de Paros s’établirent sur l’île de Thasos alors que d’autres, originaires de l’île d’Andros, fondèrent quatre colonies, trois sur la côte orientale de la Chalcidique (Sanè, Akanthos et Stageira), et une autre, ARGILOS, à quelques kilomètres seulement à l’ouest du Strymon.

 

 

La ville antique d’Argilos

Selon la tradition historique, la fondation d’Argilos daterait de 655/654 et elle constitue de ce fait la plus ancienne colonie grecque sur la côte thrace dans la région du Strymon et du Mont Pangée. Argilos occupait un emplacement privilégié, pouvant bénéficier du commerce qui se faisait le long du Strymon et peut-être même de l’exploitation des mines d’or du Pangée. Les témoignages littéraires sur le site, peu nombreux, retracent néanmoins quelques moments forts de son histoire et paraissent indiquer que la ville a connu un essor économique important, au moins jusqu’à la fondation d’Amphipolis en 437 av. n.è. En effet, dès le troisième quart du VIe siècle, Argilos aurait fondé à son tour deux colonies, Tragilos, dans l’arrière pays bisalte, et Kerdilion, à quelques kilomètres à l’est de la colonie mère. Hérodote raconte que Xerxès s’y arrêta en 480 après sa traversée du Strymon et obligea les habitants à se joindre à son armée. Membre de la première confédération athénienne, Argilos payait 1,5 talents, puis 1 talent en 446/5 av. n.è, sommes qui indiquent que la ville était toujours prospère durant la première moitié du Ve siècle. La fondation d’Amphipolis et son essor rapide grâce à sa position stratégique sur le Strymon ont sûrement nui à Argilos. On sait par Thucydide que des Argiliens participèrent à cette fondation mais manifestement, les relations entre les deux cités se sont rapidement détériorées, puisque durant la guerre du Péloponnèse, les habitants d’Argilos accueillirent le général spartiate Brasidas et se joignirent à ses troupes pour attaquer Amphipolis en 422 av. n.è. Au IVème siècle, l’existence du site est attestée par le nom d’un théarodoque d’Argilos (« Onisandros ») sur une liste du temple d’Asklépios à Épidaure, datée de 360/359 av. n.è, inscription qui montre que la ville était toujours indépendante à cette époque. Elle fut conquise par Philippe II, tout comme les autres colonies de la région, en 357 av. n.è, et l’on croyait que la ville avait alors été abandonnée, Amphipolis devenant le siège du roi de Macédoine. Nos recherches ont toutefois révélé une occupation de type agraire, limitée pour le moment à l’acropole du site, qui couvre les années 350-200 av. n.è. Aucun vestige d’époque romaine ou byzantine n’est attesté.

La mission archéologique gréco-canadienne d’Argilos

Située en bordure de mer, à 4 km à l’ouest de l’embouchure du Strymon, la ville antique d’Argilos occupe la colline dite « Palaiokastro ». Avec une acropole culminant à 80m d’altitude, cette colline est isolée par des ravins sur les côtés ouest et nord et descend en pente douce vers la mer du côté sud-est. Le site d’Argilos fut identifié par P. Perdrizet en 1883. Ce chercheur s’était fondé sur les écrits d’Hérodote, qui racontent que lorsque les Perses traversèrent le Strymon, en route vers la cité d’Athènes qu’ils voulaient conquérir, la première ville qu’ils rencontrèrent fut Argilos. Le site fut revisité par P. Collart et P. Devambez en 1930 mais aucune fouille ne fut entreprise. À la fin des années 70, quelques tombes de la nécropole d’Argilos ont été fouillées par le service archéologique grec. Les recherches systématiques n’ont toutefois débuté qu’en 1992, par une équipe conjointe de chercheurs grecs et canadiens.

La mission archéologique gréco-canadienne d’Argilos est un vaste projet de collaboration entre l’Éphorie des Antiquités Préhistoriques et Classiques de Kavala et l’Université de Montréal. Sous la direction de Zisis Bonias et de Jacques Perreault, la mission accueille chaque année une vingtaine d’étudiants canadiens et européens, assistés d’ouvriers qualifiés et de chercheurs spécialisés dans divers domaines de l’archéologie grecque (architecture, céramique, numismatique, etc.). Les résultats des recherches sont publiés dans des revues scientifiques grecques et étrangères et plusieurs conférences ont été données tant en Europe qu’en Amérique.